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10. Le banc à enchapler.

Publié le 27 novembre 2017 dans Un monde d'objets

Celui-là est en bois et a traversé sans broncher les dernières décennies.

    Enchapler, eintsaplyâ en patois, c'est l'opération de battre la faux pour amincir le tranchant ou le fil. Ce travail  se pratiquait autrefois sur le banc à enchapler. Celui-ci pouvait être en pierre, de préférence en bois, car alors vous n'alliez pas vous geler le postérieur sur une surface parfois glacée. Le bois, toujours le bois, surtout le bois.     
    On enchaplait en général le soir, après le travail aux champs, en nos villages. Et comme cette opération se pratiquait devant toutes les fermes, on entendait ce bruit si caractéristique de la période des foins qui résonnait dans la localité. Il y avait de ce fait une ambiance. Unique. De l'excitation aussi parfois, tellement l'ouvrage pressait et qu'il fallait se dépêcher avant l'orage.     
    C'était encore un temps où l'on savait manier la faux pour vous abattre, dit-on, près d'une demi-pose par homme d'une matinée. Il ne fallait alors pas avoir trop mal au dos pour pratiquer ce genre d'ouvrage que l'on abandonnait volontiers, quand on en avait les moyens, à ces faucheurs de plaine qui, une fois qu'ils avaient accompli leur ouvrage,  montaient dans nos contrées pour poursuivre leur activité de manouvrier.     Ceux-là ne faisaient jamais fortune. Et même que d'aucuns, artistes, aimèrent à les représenter au coeur d'une prairie en fleur, laissant sur leur gauche un andain odorant que bientôt d'autres de la maisonnée épancheraient à grands coups de fourches. 
    Les foins, il faut les avoir connus pour savoir la fatigue que cette période vous offre, mais aussi, en contrepartie, cette poésie champêtre que l'on ne saurait oublier.